Accès aux soins des enfants vulnérables : le rapport qui confirme les inquiétudes du CISS
01 juillet 2016
Accès aux soins des enfants vulnérables : le rapport qui confirme les inquiétudes du CISS
Qu’est-ce que l’Aide Sociale à l’Enfance ?
L’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) est un service du département, placé sous l'autorité du président du Conseil départemental et dont la mission essentielle est de venir en aide aux enfants et à leur famille par des actions de prévention individuelle ou collective, de protection et de lutte contre la maltraitance.
L'ASE exerce directement la tutelle en prenant en charge les mineurs qui lui sont confiés.
Pour accomplir ses fonctions, elle est dotée de personnel administratif et de travailleurs sociaux.
Le service de l’aide sociale à l’enfance a notamment pour mission de « pourvoir aux besoins des mineurs confiés au service (…), en collaboration avec leur famille ou leur représentant légal » (article L. 221-1, 4° du Code de l’action sociale et des familles).
Au 31 décembre 2012, le nombre de mineurs pris en charge en protection de l’enfance est d’environ 284 000 pour la France entière, soit un taux de prise en charge de 1,95 % des personnes de moins de 18 ans.
Les conditions d’accueil de ces enfants sont de deux ordres : soit ils vivent au sein d’établissements spécifiques, soit ils sont placés en familles d’accueil.
Dans tous les cas, les enfants ressortissants du régime de l’ASE bénéficient de la Couverture Maladie Universelle complémentaire (CMU-c), ce qui n’est pas sans poser, dans certains cas, des problèmes d’accès aux soins.
Les modalités d’accès aux soins des enfants accueillis à l’ASE sont analogues à celles de tout assuré, à l’exception des cas où un médecin effectue des vacations au sein même des établissements.
Les médecins de ville, dans la plupart des cas, sont donc amenés à prendre en charge ces enfants, qu’ils vivent en établissement ou en famille d’accueil.
Bénéficiaires de la CMU-c, ces enfants sont, parfois, victimes de refus de soins pour les mêmes raisons que tout autre « CMUiste » peut l’être.
Ces situations, inacceptables, nous ont été rapportées, lors d’une enquête que l’on a conduite en 2009, par de nombreux témoignages d’assistantes familiales qui, dans certains départements, peinent à trouver un médecin spécialiste pour soigner l’enfant dont elles s’occupent, en raison des nombreux refus exprimés.
Les départements sondés, ayant pour la plupart souhaité que leur anonymat soit respecté, indiquent avoir déjà eu connaissance de situations de refus de soins opposés à des enfants de l’ASE placés en familles d’accueil :
- « refus de prendre en compte la CMU-c et d’appliquer le tarif conventionnel » ;
- « quelques refus de soins, ponctuellement mais régulièrement, qui émanent essentiellement de spécialistes » ;
- « les familles d’accueil, face à ce genre de problèmes, n’osent pas exiger du praticien la prise en compte de la CMU-c, elles avancent donc les frais, ce qui nous pose des problèmes de remboursement. De plus, devant les enfants, elles ne veulent pas se battre. Ceux qui accepteraient sont parfois loin du domicile de l’enfant. » ;
- « les difficultés émanent souvent de soins en urgence (SOS médecins entre autres), de spécialistes et de quelques pharmaciens.
La problématique existe surtout quand les mineurs quittent le département (colonie, familles d’accueil installées hors du département), où là le refus est quasi systématique » ;
- « lorsque les professionnels de santé se sentent "obligés" de prendre en charge des patients bénéficiant de la CMU-c, la relation de confiance devant normalement s’établir entre le patient et le médecin est souvent mise à mal. Par conséquent, les familles d’accueil éprouvent des difficultés à revendiquer l’application de la loi estimant que cette démarche pourrait nuire à la prise en charge des enfants qu’elles accueillent » ;
- « les abus non chiffrés (plusieurs dizaines dans l’année) concernent les frais d’optique » ;
- « sur l’agglomération, si un nombre non négligeable de médecins se permet de refuser, il y en a toujours beaucoup d’autres pour accepter… C’est à l’occasion de cette enquête que certaines difficultés ont été signalées ».
Les enfants de l’ASE, placés dans des situations particulièrement stigmatisantes en raison de leur situation familiale sont donc exposés à un autre type de discriminations susceptibles de renforcer d’autant plus leurs difficultés d’inclusion sociale : les refus de soins.
Ces discriminations sont particulièrement choquantes. Et dès 2009, le CISS appelait à ce que soit diligentée une enquête nationale au sein des Conseils généraux (devenue Conseils départementaux) et auprès des assistantes familiales pour lutter contre ce qui constitue une atteinte grave aux droits des enfants malades.
Cette enquête a finalement été conduite, financée par le Défenseur des droits et le fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie, et vient ainsi d’être rendue publique dans un rapport sur « l’accès à la santé des enfants pris en charge au titre de la protection de l’enfance »[1].
De graves constats émanent de la recherche qualitative sur l'accès au soin des enfants sous mesure de protection (ASE et PJJ)
Parmi les constats, le rapport L’accès à la santé des enfants pris en charge au titre de la protection de l’enfance : accès aux soins et sens du soin souligne des faits graves :
- Les politiques d’affiliation des enfants placés entraînent une surreprésentation des jeunes bénéficiant de la CMU-c. Or, d’une manière générale, cette population rencontre des difficultés d’accès aux soins qui sont d’autant plus prégnantes pour les mineurs pris en charge en protection de l’enfance. Deux-tiers des services ASE et 59 % des directions territoriales de la Protection judiciaire de la Jeunesse (DTPJJ) déclarent que certains soignants sont réticents à accepter des mineurs couverts par la CMU-c.
- Les raisons financières – tiers payant, dépassements d’honoraires, problèmes de remboursement de la part de la mutuelle, etc. – sont à l’origine de difficultés d’accès aux soins des enfants placés pour 57 % des directions territoriales de la Protection judiciaire de la Jeunesse et 36 % des services ASE.
Rappelons que la facturation de dépassements d’honoraires ou que le refus d’appliquer le tiers-payant à toute personne bénéficiaire de la CMU-c est constitutif d’un refus de soins passible de sanction.
En outre, sur le plan administratif, une rupture de la couverture médicale est fréquente lors d’une fin de placement au cours de la minorité, lorsque l’enfant retourne vivre chez ses tuteurs légaux (53 % des CPAM citent cette modalité). A la fin du placement, l’enfant peut perdre la couverture santé individuelle que l’ASE lui avait obtenue sans pour autant récupérer une couverture santé auprès de ses parents.
Ce rapport doit faire réagir les pouvoirs publics comme l’Ordre des médecins en charge de faire respecter les engagements déontologiques des professionnels. Associé à l’Observatoire des refus de soins créé sous l’égide de celui-ci, le CISS militera pour que l’Ordre lui-même se saisisse de ces situations de refus de soins et que des dispositions très fermes soient prises pour les prévenir et les sanctionner le cas échéant.
A l’adresse de toutes les victimes, le CISS exprime son soutien et met à leur disposition des courriers-types de saisines des instances concernées.
[1] L’accès à la santé des enfants pris en charge au titre de la protection de l’enfance : accès aux soins et sens du soin, mars 2016, Séverine Euillet, Juliette Halifax, Pierre Moisset et Nadège Séverac téléchargeable ici.