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Extension de la suspension de peines pour raisons médicales

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28 février 2014

Bon Point

Extension de la suspension de peines pour raisons médicales

 

« La procédure aujourd'hui est complexe et longue, à telle enseigne que nous avons des détenus qui décèdent en prison, alors que nous convenons tous, et c'est quand même l'esprit de la loi pénitentiaire, que lorsque le pronostic vital est engagé, il faut que le détenu puisse aller finir ses jours parmi les siens. Il y a des malades qui sont au stade terminal et avant que n'arrive le décès, la procédure est encore en cours. Il y a lieu vraiment d'assouplir cette procédure », disait Christiane Taubira, ministre de la Justice, en avril 2013 lors d'un débat sur l'application de la loi pénitentiaire de 2009.

 

C’est du Parlement que sera venue l’initiative d’une modification du dispositif, certes pas spécifiquement vers un assouplissement de la procédure. Le 13 février, le Sénat a adopté en première lecture une proposition de loi déposée par le groupe EE-LV qui vise à étendre aux personnes prévenues incarcérées le bénéfice du dispositif dit de « suspension de peine pour raisons médicales » institué par la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades. Cette mesure n’est jusqu’ici applicable qu’aux détenus définitivement condamnés, et la proposition de loi vise, selon ses auteurs, à « combler un vide juridique et de mettre un terme à une inégalité de droits entre prévenus et condamnés ».

 

Le code de procédure pénale dispose, dans son article 720-1-1, que « sauf s’il existe un risque grave de renouvellement de l’infraction, la suspension peut également être ordonnée  (…) pour les condamnés dont il est établi qu’ils sont atteints d’une pathologie engageant le pronostic vital ou que leur état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention (…) La suspension ne peut être ordonnée que si deux expertises médicales distinctes établissent de manière concordante que le condamné se trouve dans l’une des situations énoncées à l’alinéa précédent. (…) ».

 

Si elles sont présumées innocentes, les personnes en détention provisoire, incarcérées soit dans le cadre d’une instruction soit dans l’attente d’un procès en appel ou de l’examen d’un pourvoi en cassation, sont elles aussi soumises à des conditions de détention dégradées alors qu’elles subissent des durées de détention provisoire pouvant aller jusqu’à plusieurs années en matière criminelle. Cette nouvelle disposition, qui doit encore être adoptée par l’Assemblée nationale, est donc une bonne nouvelle pour les personnes concernées, sur le papier du moins.


Un droit qui peine à être appliqué

 

« Mourir en prisonc'est affronter une solitude sans espoir ; c'est un constat d'échec et de gâchis » disait, en 2000, un rapport parlementaire consacré à la situation des prisons pour évoquer la situation des détenus malades et âgés. Véritable électrochoc, ce rapport avait largement contribué à la prise de conscience des conditions de vie déplorables des personnes incarcérées. Si l’instauration d’une mesure de suspension de peine pour raisons médicales avait pu être considérée comme une avancée majeure dans le domaine de la protection des personnes malades, comme l’avait été, en 1994, le transfert de la fonction soignante de l’administration pénitentiaire vers l’administration sanitaire, force est de constater qu’elle est loin, 12 ans après son adoption, d’avoir répondu aux objectifs qu’elle visait.

 

Du fait d’un contexte global de plus forte répression pénale mais aussi en raison des conditions devant être réunies pour accorder une suspension de peine pour raisons médicales, l’application de la mesure a été très faible. Entre 2002 et 2010, la population carcérale est passée de 48 000 à 60 000 personnes ; parmi elles, on comptait 2 356 personnes de plus de 60 ans au 1er janvier 2010 contre 1 683 en 2002 et 1 104 au 1er janvier 1997. Pourtant, entre 2002 et 2012, seules 6 à 700 personnes ont pu bénéficier d’une suspension de peine pour raisons médicales et, pendant ce temps, 1 200 autres sont décédées de « mort naturelle » en prison… combien parmi elles auraient pourtant dû pouvoir bénéficier de cette disposition législative ?

 

Les obstacles à l’application du texte s’étant accumulés, son champ d’application n’a cessé d’être restreint. La « loi pénitentiaire » du 24 novembre 2009 s’est bien efforcée de remédier aux carences les plus flagrantes du mécanisme, en permettant, en cas d’urgence, la remise en liberté du condamné au vu d’un simple certificat médical, dispensant ainsi de l’obligation de réaliser deux expertises, et en favorisant l’accès au dispositif alternatif de la libération conditionnelle pour les condamnés âgés de plus de 70 ans. Mais les observateurs constatent que les juges « restent globalement réticents à passer outre les deux expertises et réservent cette procédure exceptionnelle aux personnes à l’article de la mort ».

 

Aussi, plus de trois ans après l’introduction de ces correctifs, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), tout en constatant l’impossibilité d’évaluer « à quel pourcentage de mesures accordées correspondent les 104 mesures de suspension de peine pour raison médicale prononcées pour l’année 2009 ; les 137 pour l’année 2010 et les 172 pour l’année 2011 », jugeait le niveau de ces chiffres en tout état de cause « très faible » et affirmait que « les conditions posées par [la loi] constituent, dans la pratique, de vraies restrictions à l’usage de ce droit ». En avril 2013, la directrice de l’hôpital pénitentiaire de Fresnes, vers lequel les juridictions tentent régulièrement d’orienter les condamnés en état de grande dépendance, a publiquement interpellé les pouvoirs publics sur l’abandon des personnes âgés en prison. Au 1er janvier 2011, 52 personnes incarcérées avaient 80 ans ou plus, le doyen de ces seniors ayant 89 ans.

 

Ainsi, si l’on ne peut que se féliciter de cette initiative parlementaire, et souhaiter qu’elle aboutisse rapidement, elle ne suffira pas, seule, à répondre aux situations de maladie ou de dépendance que rencontrent les personnes détenues, que ce soit provisoirement ou après condamnation. C’est de tout le parcours de prise en charge de leurs situations parfois complexes qu’il faut s’occuper si l’on souhaite leur apporter des réponses : suivi médical en détention, coordination des soins, accompagnement social, accès aux droits sociaux et préparation d’un environnement favorable à leur sortie, en termes de logement notamment, qui est un élément pris en considération par les juges dans l’octroi d’une suspension de peine. Au fond, il s’agit de garantir aux personnes détenues, s’agissant de prise en charge, la reconnaissance de leurs droits fondamentaux, comme de tout autre individu devant avoir recours à des soins.



Pour aller plus loin


« 10 ans de loi Kouchner : funeste anniversaire de la suspension de peine médicale », Dedans Dehors, n° 76, Observatoire international des prisons, mars-avril 2012

 

« Réécriture de la loi à la faveur d’une QPC sur la suspension de peine pour raisons médicales », par Hugues de Suremain in Lettre Actualités Droits-Libertés du CREDOF, 20 juillet 2013

 

Rapport d'activité 2012 du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Dossier de presse

 

« Malades en prison : la colère du médecin de Fresnes », Le Monde, 13 avril 2013