Intérêts et enjeux du dossier médical personnel
05 janvier 2011
Intervention de Christian Saout, Président du CISS, le 5 janvier 2011, à l’occasion de la Conférence annuelle de l’Agence des systèmes d’information partagés de santé (ASIP Santé) présentant le déploiement du dossier médical personnel.
Salle Laroque, Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Santé, 14 avenue Duquesne, 75007 PARIS.
Madame, Monsieur,
Les intérêts du DMP sont maintenant bien connus. Ils n’étaient d’ailleurs pas douteux puisque le législateur lui-même en avait fixé les buts : la coordination et la qualité des soins.
La première étape qui s’ouvre aujourd’hui, si elle doit être saluée, est encore loin de la concrétisation de ces objectifs. Pour autant, elle est nécessaire. Sans outil de stockage des données, les échanges s’avèreront aléatoire et l’accès courant du citoyen à ses données personnelles de santé, toujours aussi peu commode.
I. Un certain nombre d’avantages apparaissent donc à terme :
- La coordination des soins rendue plus aisée par les échanges informatiques entre les différents intervenants d’une prise en charge devenue au fil du temps, en raison de l’évolution des techniques de soins et des pathologies, de plus en plus pluridisciplinaire,
- La qualité des soins parce que la connaissance du plan de soins sera acquise par le patient et qu’il pourra ainsi mieux s’approprier sa santé et en devenir, s’il le souhaite, un acteur plutôt qu’un actant,
- La sécurité des soins dont le suivi sera facilité avec les systèmes d’alerte informatisés en cas de contre-indication ou d’interaction médicamenteuse, en cas de lot de médicaments ou de dispositif médical défectueux ou encore avec la télésurveillance des paramètres biologiques et cliniques du patient,
- La relation médicale qui va partiellement se formaliser dans sa dimension contractuelle, et cela ne doit pas être regardé comme un mal, puisqu’il s’agira pour le patient de consentir à l’ouverture du DMP et de consentir à certains échanges, mais aussi parce que le plan de soins pourra être partagé et suivi par le patient et le médecin, « à parité », oserait-on dire,
- L’accès du patient à ses données personnelles de santé qui sera grandement facilité par l’électronique car à la différence de l’accès au dossier « papier », il n’y aura plus de délai d’attente par internet,
- La sécurité d’une solution publique qui, par rapport aux solutions privées, ne sera pas dans la tentation de vendre les données collectées pour asseoir son modèle économique ou rechercher le profit.
Cette liste n’a aucune prétention exhaustive, mais franchement si nous allons vers tout cela, nous aurons collectivement dans notre pays concouru à une avancée considérable.
Ce sont ces intérêts, potentiels d’abord, puis embryonnaires et diffus, notamment avec les expérimentations, qui ont amené le Collectif interassociatif sur la santé à se prononcer en faveur de ce DMP.
Non sans peine, car il a fallu batailler face à des enjeux qui avaient parfois l’allure de risques.
II. Sur certains de ces enjeux, l’expression associative a été entendue, les autorités publiques ou de régulation considérant après de rudes batailles que nous avions raison.
Ainsi, l’enjeu du DMP comme outil de régulation économique a été dépassé puisque la baisse du niveau de remboursement en cas de non-présentation du DMP a été supprimée. De même, le caractère facultatif et non plus obligatoire du DMP a été reconnu : c’est d’ailleurs la meilleure façon de le rendre acceptable par tous.
La CNIL est venue reconnaître que les associations avaient raison de demander un identifiant national de santé (INS) distinct du numéro INSEE, de façon à ce que le risque de connexion avec d’autres fichiers soit écarté.
Le droit à l’oubli que nous revendiquions se concrétisera avec le droit au masquage qui est maintenant reconnu.
Le droit d’accès aux traces, c’est-à-dire à l’identification de ceux qui ont consulté le DMP, que nous considérions indispensable, permettra à tout citoyen de contrôler l’usage des données de santé contenues dans son DMP par les tiers qu’il a autorisés.
Dans de telles conditions, le DMP est donc une belle promesse pour la coordination, la qualité et la pertinence des soins dans l’avenir, au moment où nous aurons besoin de ce type d’outils pour conserver des prises en charge efficaces dans un contexte de financements contraints.
III. Pour autant, sur d’autres enjeux, des difficultés subsistent et doivent être résolues.
III.1. L’insertion de l’outil DMP dans une stratégie globale.
A quoi servirait un geste pur dans un océan de turpitudes ? Les décisions de stratégie d’informatisation du système de santé doivent être transparentes et contradictoires au sein d’un Conseil national stratégique de l’informatisation du système de santé qui reste encore à mettre en place malgré les promesses tant de fois réitérées, car il ne faudrait pas croire que la délégation interministérielle que l’on évoque saurait suffire à l’ambition de mettre un peu de démocratie dans un dossier qui l’exige autant qu’il le mérite.
D’ailleurs, il est assez cocasse et illustratif que le plan de développement du DMP ressorte de la dernière délibération de la CNIL plutôt que de l’ASIP Santé elle-même.
Faut-il rappeler que si les associations ont accepté de ne pas figurer au conseil d’administration de l’ASIP Santé, ce n’est pas pour être absentes du reste du processus ou tenir une élégante composition de figurant dans un conseil d’éthique et de déontologie bien insuffisant, même s’il est nécessaire, à incarner la participation de la société civile à la gouvernance de l’informatisation du système de santé.
III.2. Les nécessaires progrès dans la régulation du domaine de l’informatisation des systèmes de santé.
Car il ne s’agirait pas que les débats qui nous préoccupent aujourd’hui sur le Médiator s’étendent à l’informatique de santé. Or, il subsiste des risques. Je voudrais en donner deux exemples.
Il n’est peut-être pas raisonnable de maintenir l’agrément des hébergeurs de données dans une simple commission administrative. On se demande d’ailleurs pourquoi cette compétence ne figure pas au rang de celles détenues par l’autorité protectrice dans le domaine de l’informatique et des libertés, la CNIL. Il faudrait écarter tout risque de soupçon sur ces agréments car il ne manquera pas de surgir à l’égard des industries de l’informatique de santé comme à l’égard de l’industrie du médicament, surtout quand les délibérations de ce comité d’agrément ne sont pas rendues publiques.
Par ailleurs, comme le titrent certains journaux, « l’informatique de santé attise les appétits industriels ». Or si nous disposons d’une régulation de l’informatique de santé au regard des risques pour les libertés individuelles et collectives, nous n’avons pas d’outil de régulation du marché des produits de télésanté. On peut imaginer aisément que des organismes d’assurance complémentaire ou des industriels de la téléphonie, deux domaines ultra-concurrentiels, chercheront à fidéliser une clientèle à l’aide de produits de télésanté qui ne pourra plus se séparer d’une offre dans ces domaines parce qu’elle voudra conserver son produit de télésanté.
III.3. L’application des principes de la démocratie sanitaire à l’informatique de santé.
Ainsi les cinq régions qui ont pour mission de contribuer à la montée en charge du DMP doivent voir les représentants des usagers présents dans leurs déploiements à des niveaux significatifs pour jouer leur rôle d’alerte en cas de dysfonctionnements péjoratifs pour les usagers.
Par ailleurs, les outils de promotion doivent présenter clairement les droits des usagers dans le DMP : droit d’ouvrir ou non un DMP, droit au consentement, droit aux habilitations, droit de rectification, droit d’accès aux traces, droit à la fermeture du dossier. Ils doivent aussi présenter les voies de recours en cas de méconnaissance de ces droits.
Enfin, une campagne nationale sur la nécessaire précaution que tout un chacun doit avoir de l’usage de ses données de santé informatisées, notamment sur le DMP, dans la société de l’internet, doit permettre de mettre en garde l’opinion et lui faire adopter les comportements les plus prudents. Cette campagne devra mettre en exergue le fait que d’avoir eu accès à des données de santé informatisées constitue un délit passible de sanctions.
III.4. L’enjeu d’une approche participative dans le déploiement du DMP.
Les outils de promotion du DMP, notamment le guide relatif aux modalités de consentement à l’ouverture de son dossier, doivent être validés par une démarche participative avec les associations des représentants d’usagers.
Des partenariats entre l’ASIP Santé et les associations agréées de santé doivent être construits pour promouvoir le DMP et faciliter l’accès du plus grand nombre à l’ouverture de son dossier et à sa consultation en raison de la fracture numérique, sur la base d’un protocole sûr et autorisé.
*
Comme on le voit, la confiance s’est construite patiemment. Elle reste fragile. Elle doit se renforcer pour le bien commun. Nous verrons tout à l’heure, en écoutant le Ministre du Travail, de l’Emploi et de la Santé comment il entend répondre aux questions qui restent à résoudre.
- Observatoire 2008 du CISS sur les droits des malades
- Présidence de la Conférence régionale de santé d'Ile-de-France : un représentant des usagers candidat
- Création du conseil d'éthique et de déontologie de l'Asip santé, vice-présidé par un représentant des usagers, Christian Saout (président du CISS)